Carême 2020

Par le pasteur Marcel MBENGA, EPUDF à Dijon.

Méditation pour le temps de Carême

Jean 4, 5 – 42

 

Je reprends ici l’essentiel de la prédication que j’aurais dû donner lors du culte du 3ème dimanche de Carême. Quand j’ai appris comme vous que partout en France, pas de culte, j’ai entendu sonner à mes oreilles d’une manière vraiment charnelle une partie de l’échange de Jésus avec la Samaritaine.

 

Jésus dit à cette femme : « L'heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… un peu plus loin il ajoute, Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité ».

 

J’ai toute de suite fait lien avec le contexte particulier qui est désormais le nôtre. Privés de tout rassemblement dans nos lieux habituels, temples et autres salles de cultes. Même si, nous protestants, nous avons un rapport très distancié de nos lieux de culte qui ne sont en rien sacrés. Il reste que la dimension communautaire prend un sacré coup. Nous expérimentons ici tout ce que tous les exilés d’Israël ont pu vivre en terre d’exil. Nous ressentons, l’isolement des frères et soeurs qui n’ont plus ce moment privilégié de rassemblement communautaire. 

Mais, voilà, Jésus disait à la Samaritaine en son temps, et à nous aujourd’hui : Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité. Là où nous sommes, dans nos familles, dans les maisons de retraite ou ailleurs, Dieu y est présent. L’adoration de Dieu, notre Père, n’est pas une question de lieu matérialisé. Et notre communion n’est pas atteinte même si ne pas pouvoir se rassembler est une réelle souffrance pour beaucoup.

 

Revenons à cette belle rencontre entre Jésus et cette femme, restée anonyme pour nous. Une rencontre qui met en lumière des ruptures religieuses et sociales que nous pouvons encore connaître. Les barrières qui sont évoquées ici ne sont pas seulement reléguées au passé. Elles sont encore si actuelle : Une femme et un Homme. Ici un Juif et une Samaritaine. Quels rapports ? Comment dans un tel contexte, l’un peut-il oser aller vers l’autre et oser en plus demander quelque chose ?

 

Voilà, si ce récit met en lumière des ruptures, il y est aussi question de soif, de fatigue, de chaleur excessive, de solitude, et j’en passe. Jésus a soif. Il fait grandement chaud. Il est fatigué. Il est seul sans ses disciples qui sont allés chercher des vivres. Pourquoi ne pas entendre ces mentions au premier degré ? Jésus a réellement soif. Bien entendu, et le récit nous y invite d’ailleurs, à dépasser cette première lecture pour mettre cette soif et cette fatigue en perspective et entendre alors un message d’ordre plus spirituel, plus divin même.

 

La soif de Jésus, va rompre toutes ces barrières sociales et sociologiques et faire émerger une relation nouvelle. Parce que d’entrée de jeu, Jésus ne cache pas sa fragilité. Parce qu’il ne dissimule rien. Parce qu’il exprime son manque . Il va révéler à cette femme, les capacités et les possibilités qu’elle a pour lui venir en aide. Jésus va montrer à cette femme qu’il a besoin d’elle. Chemin faisant, Jésus la valorise. Ce n’est pas rien que demander à quelqu’un quelque chose.

 

Je vois ici dans la demande de Jésus à la Samaritaine deux petits enseignements :

 - Le premier : Dieu a besoin de nous. Ce n’est pas rien de dire cela ? Dieu nous appelle au secours. Il reconnaît ainsi notre capacité à agir pour lui.

- Le second : Jésus nous fait comprendre qu’il n’y a pas de honte à exprimer notre manque et notre désir. « Donne-moi à boire, j’ai soif ». Dire sa fragilité et son besoin est une humilité. Et cette humilité, il nous la faut en couple, en famille, entre amis, en Eglise, et partout ailleurs.

 

Je remarque comme vous, qu’il est généralement admis qu’il est beaucoup plus aisé de donner que de recevoir. Jésus nous apprend l’humilité et la force de la demande. Demander est une générosité. Demander, c’est exprimer sa faiblesse. Il y a là quelque chose de la vérité évangélique. Nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes sans les autres. Chacun peut apporter à l’autre, y compris, celui que l’on croit totalement démuni de tout. Il a une richesse qui peut me manquer. Pouvons-nous reconnaître qu’être assis au bord de la route, à la merci et à la générosité des passants, est déjà en soi une force que tout le monde n’a pas ? Je le crois.

 

Voilà, Jésus a brisé toutes les barrières pour aborder cette femme. Il s’est présenté à elle en vérité. Il a conquis sa confiance. Il a libéré cette femme de tous ses carcans. Et du coup, à son tour, elle peut exprimer à Jésus son manque : « Seigneur, donne-moi cette eau-là, pour que je n'aie plus soif et que je n'aie plus à venir puiser ici ». Cette femme ose désormais parler ouvertement et en vérité. Elle n’a plus peur d’affronter sa propre vérité douloureuse qui la conduit en plein midi chercher de l’eau. Elle n’a plus honte d’assumer les six hommes de sa vie parmi lesquels cinq maris. Elle n’a pas honte d’aller affronter le peuple de Samarie pour rendre témoignage de ce qui lui arrive et de ce qu’est sa vie. C’est incroyable comment Jésus, avec tact, en prenant le temps de l’échange avec cette femme, en mettant en lumière son besoin, il permet à cette femme de réexister, de recouvrer toute sa dignité malgré une vie presque dissolue. Tout cela ne compte plus. Elle se sait accueille telle qu’elle est.

 

Alors, elle a acquis une force de conduire toutes ces autres personnes, les Samaritains, qu’elle fuyaient jusqu’ici, elle les conduit à Jésus. Et elle va être gratifiée de la plus belle des déclarations dans le domaine de l’Evangélisation, à mon sens :

 

« Ce n'est plus à cause de tes dires que nous croyons ; car nous l'avons entendu nous-mêmes, et nous savons que c'est vraiment lui le sauveur du monde » disent les Samaritains à la femme.

 

Qu’il est bon d’avoir cette relation directe au Christ.

Qu’il est bon de ne jamais masquer le Christ.

Qu’il est bon de s’effacer ou d’être effacé pour laisser cette relation directe et cette assurance directe entre chacun et Dieu.

 

Chers amis, chers frères et sœurs, chacun dans son confinement, a cette possibilité toujours renouvelé d’être en relation directe avec Dieu.

Amen